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1 octobre 2010

Pukayacu II

écris le 11/04/07 à Ayacucho / Pérou



exhumations


Lundi 9 avril, 10 heures du matin, rendez-vous devant la Municipalité de Huanta. Isaac et Marino sont déjà là, le second avec son fils et sa fille... Cinq autres personnes que je ne connais pas encore. Iván, mon logeur et avocat pour ADEHR, arrive quelques minutes plus tard. On attend encore Karim, avocate également... Elle n'arrive que peu avant 11 heures. Les retardataires sont tous là, nous filons au cimetière.

L'équipe d'anthropologues-légistes arrive à midi, en compagnie du représentant du Ministère public. Les exhumations vont pouvoir commencer, alors que les témoignages des familles des victimes viennent d'être recueillis par le journaliste d'une radio locale.

Aujourd'hui, nous sortons les cadavres de Dionisia Villarroel Villanueva, feu épouse de Marino Huamani, et de Esperanza Ruiz Soto... Les cercueils ont été déposés il y a bientôt 22 ans dans des niches, à la façon locale... pour ceux qui en ont les moyens.

Pukayacu II : 7 août 1985, sept personnes soupçonnées d'être de mèche avec les terroristes sont assassinées par les Forces Armées, arbitrairement, après avoir été interrogées et torturées. 29 août, les corps sont découverts dans une fosse commune, à Pukayacu. Les militaires avouent avoir tué sept personnes, d'une balle derrière la tête. L'équipe de légistes chargée des exhumations à cette époque écrit dans son rapport que les corps découverts et identifiés n'ont pas été tués par arme à feu. Un classique à cette époque...

22 années plus tard, les corps sont de nouveau examinés. Si les légistes trouvent des traces de balle sur les crânes, l'affaire pourra être réouverte et les coupables inquiétés (certains sont encore en poste). Sinon, affaire classée, on n'en parle plus.

Le premier corps est donc sorti vers 13 heures, sous les yeux de la famille. Les anthropologues l'amènent bientôt à la morgue, afin de l'analyser. Puis vient le tour du second que je vois de près, un squelette en décomposition, habillé et chaussé. Fin du premier acte.

Et premier coup de théâtre le lendemain matin : trois corps sur les sept prévus ne seront pas exhumés. Ils sont enterrés sous terre, dans la "plaine des pauvres"... Mais nous ne sommes pas sûrs de l'emplacement exact, le risque serait de se tromper de sujets... Ce qui desservirait fortement l'enquête. La famille Palomino, qui est venue pour l'occasion d'une communauté située à cinq heures de Huanta, et qui ne sait toujours pas comment elle arrivera à payer son billet de retour (15 soles chacun, 3,75 euros), a de quoi être dépitée. De mon côté, j'en profite pour recueillir leurs témoignages. D'abord de Mercedario, 40 ans, qui a perdu son père dans cette affaire. Il me raconte les dix années d'exil de toute sa communauté. Leur village a été brûlé, ils se sont cachés dans les montagnes, dans des grottes, et dans quelques villages reculés. Ce n'est qu'en 1997 qu'ils sont rentrés chez eux, pour récupérer leurs quelques parcelles. Aujourd'hui, ils produisent tout juste de quoi se nourrir, et la peur ne les a pas vraiment quittés. Ce qui me marque le plus dans son témoignage, c'est son aveu d'incompréhension totale, tant face aux fondements du conflit que face à sa soudaine fin. D'où cette peur, encore présente, du retour d'une violence qui leur échappe totalement. Puis vient le tour des dames, qui ne parlent que quechua. Un des fils est là pour traduire.

IMG_2795


Pendant ce temps, et jusqu'à tard dans l'après-midi, les anthropologues se chargent de déterrer les corps de Alejandro Cunto Yaranga et de Faustino Cunto Tincopa (père et fils). Eux aussi ont été enterrés sous terre, avec une petite pierre gravée comme seule sépulture. Deux des autres fils d'Alejandro sont présents, la pelle à la main. Les restes des cercueils sont atteints en fin de matinée, dans un état déplorable. Les squelettes devront du coup être dépecés, répartis dans des sachets en papier. Les analyses appronfondies commencent ce mercredi 11 avril à la morgue de Huanta mais déjà, on a pu facilement reconnaître dans les crânes les trous percés par les balles... Les exhumations partent plutôt bien.

exhum2



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