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3 juillet 2013

Accomarca

14 août 1985. Trois patrouilles militaires pénètrent dans le village andin d'Accomarca, soupçonné d'être un bastion du Sentier Lumineux. Après avoir regroupé hommes, femmes et enfants qui se trouvaient sur leur passage, les militaires les assassinent froidement. 
Novembre 2011. Le cas est enfin envoyé devant la justice péruvienne.

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4 décembre 2011

Le sourire de Dionisia

25/04/2010- Lima / Pérou


Photo illustration Le sourire de Dionisia - Marino

Encore tout engourdi par le sommeil, j’attends patiemment, sur mon siège de fortune, que les derniers passagers arrivent, pour que l’on puisse enfin partir. Je refuse tour à tour, d’un geste nonchalant de la tête, les avocats, figues de barbarie et autres gélatines que me proposent en geignant les infatigables vendeurs de rue.

L’âpre odeur de la coca mâchée qui émane avec force de mon voisin de banquette éveille en moi une langoureuse nostalgie. Le combi se remplit peu à peu, chaque nouvelle entrée fait brinqueballer le véhicule. Nous nous serrons de plus en plus, ma tête se cale contre la vitre ; la chaleur humaine me plonge dans une agréable torpeur. Vingt passagers, le compte y est. Le chauffeur met les moteurs en marche, augmente sensiblement le son de son radiocassette, et démarre. La voix stridente de Tudy Palomino accompagne notre sortie de la ville. Je m’endors doucement au son du charango

Dans le sang du peuple,
C’est là qu’elle s’épanouit,
Dans cette marée rouge,
La fleur de Retama fleurit

             L’odeur de la sueur règne avec force dans le petit local. Les murs semblent suinter, comme les pores de ces deux hommes qui te surveillent, Marino. Tu as maigri, tu as l’air épuisé. Même ton regard, d’habitude si fier, trahit ton désarroi. Voilà quinze jours qu’ils te retiennent. Comment se fait-il que tu sois encore là ?

            La petite porte du fond s’ouvre brutalement dans ton dos. Tu l’entends, Marino, mais tu ne peux la voir. Soigneusement ligoté à ta chaise, tu esquisses un petit mouvement de tête mais te ravises aussitôt ; tu inclines légèrement la nuque, ton front se plisse et tes yeux se ferment, pour supporter le coup qui va t’être assené. Mais rien ne se passe. L’officier qui vient d’entrer te dépasse sans même te regarder, et échange quelques mots à voix basse avec tes geôliers. Il accompagne un autre prisonnier, que tu n’as jamais vu. Le gradé quitte prestement la pièce ; tes bourreaux se mettent aussitôt en action. L’un deux s’affaire à présent dans ton dos, il te menotte avant de détacher tes liens. « Suivez-nous ». Que va-t-il t’arriver, Marino ?

            Vous sortez de la pièce, vous parcourez maintenant un long couloir étroit. L’odeur te donne envie de vomir, Marino ; ça sent l’urine, la sueur et le sang. Derrière chacune de ces portes d’acier, ils torturent et ils violent, mais tu n’entends même plus les cris. Tu es à bout de forces. Vous voilà à l’air libre, Marino, depuis combien de temps n’avais-tu pas vu le ciel ? Lève donc les yeux.

            Vous allez grimper dans la camionnette qui te fait face, allez monte, cholo de mierda, crient-ils à l’autre prisonnier, et alors seulement tu remarques son visage et son corps, couverts de contusions et de sang séché. Tu es à présent assis sur le siège passager, dans la cabine du chauffeur. Ton compagnon de fortune gît à tes pieds, sous une couverture qu’ils lui ont jetée dessus.

            Vous sortez de Castropampa, et vous quittez sitôt Huanta ; tu commences à comprendre, Marino, vous prenez la route de Huamanga. Tu aurais dû regarder le ciel, Marino. Dans quelques minutes, vous passerez le pont d’Ayahuarcuna, et tout s’arrêtera là. Vos deux corps viendront bientôt s’affaler, inertes, sur ce lopin de terre maudit où tombaient jadis vos ancêtres comme des mouches.

Leurs pas résonnent à l’entrée de la ville,
Les gardiens de la paix arrivent 

Après une petite heure de route, le combi me dépose sur la place principale de Huanta ; il y avait bien longtemps que je n’y avais pas posé les pieds. Pourtant, je ne m’y attarde pas. Je me dois d’être à l’heure à notre rendez-vous. Je me dirige donc vers la sortie de la ville, par le chemin de Huancayo.

Je n’ai pas fait cent mètres à pied qu’un chauffeur de mototaxi m’alpague. Après tout, ça me fera gagner du temps : je grimpe à bord du véhicule, et m’enfonce avec lui dans la vallée de Huanta.

Peu avant dix heures, le tricycle me dépose à l’entrée de ta ferme, Marino.

Ils vont tuer les paysans,
Ils vont tuer les étudiants,
Ô fleur ambrée, Ô fleur dorée,
Ô fleur de Retama 

            Ayahuarcuna est maintenant derrière vous, ils t’épargnent une fois de plus, mais diable, quel sort te réservent-ils, Marino ? Voilà que ton chauffeur se met à te parler, d’un air presque gêné. Il t’évoque cette sale soirée du mois d’août. Tu quittais Huanta pour regagner ta ferme, lorsqu’ils t’ont pris, sans que tu comprennes pourquoi. Que savais-tu alors, Marino ? Tard dans la soirée, alors qu’ils t’avaient déjà bien amoché, d’autres soldats encagoulés sont arrivés avec ta femme et huit autres huantinos. Sous tes yeux incrédules, ils ont violé la mère de tes enfants, tous, tour à tour, du plus vulgaire soldat au plus gradé d’entre eux. Ils ont ri de vous souiller ainsi. Le lendemain, ils l’ont libérée, ainsi que les autres prisonniers, et ils n’ont gardé que toi, Marino. Tu les croyais libres, Marino, tu imaginais ton épouse soigner ses plaies auprès de tes enfants. Tu gardais l’infime espoir de pouvoir un jour vous pardonner cette flétrissure. Mais ils n’ont libéré personne, Marino. Les autres ont trouvé Dionisia, et ils l’ont inhumée.

Le parfum du sang du peuple est somptueux,
Il sent le jasmin, la violette et le géranium,
Il sent la poudre et le canon 

            Tu n’as pas pris une ride, Marino ; le poids des années n’a pas d’effet sur toi. Ton sourire argenté emplit mon cœur de joie, ton regard bienveillant m’accueille comme si j’étais ton fils. Ta moustache est impeccable, tu es radieux. Te serrer contre moi est salvateur, Marino. On ne parlera plus de ça. Tes sanglots nous ont unis comme si nous étions de la même chair.

            Trois années se sont écoulées, mais vois-tu, je l’honore finalement, ton invitation. A l’époque, je n’en avais pas eu le courage. Le souvenir encore trop frais du sourire de ta femme, Marino, que tu as dû reconnaître malgré son décharnement, malgré les vingt-cinq années qu’elle a passées sous terre… Les larmes que tu as versées, toi l’homme sans faille, lorsque tu m’as raconté ton histoire… Cette guerre que je n’ai pas connue a envahi mes tripes, il a fallu que je la digère, que je la crache et que je la pleure, Marino.

            Mais aujourd’hui, je suis là, et bien à l’heure. Bonne fête, Dionisia.

 

Dionisia a été assassinée le 7 août 1985 par l’armée péruvienne ; son corps a été exhumé en avril 2007 dans le cadre d’une enquête menée par le Ministère de la Justice péruvien. J’ai fait la rencontre de Marino à cette occasion.

 
1 octobre 2010

Voyage dans le métro new-yorkais

écrit le 08/07/10 à New-York / Etats-Unis



newyork

Herald Square, je monte dans la ligne Q. Une rame de métro tout ce qu’il y a de plus banale : portes coulissantes automatiques, parois grises, des barres métalliques et des vitres, des bancs mauves qui se font face. Je m’assieds.

A ma gauche, un moustachu type germanique, couvert d’une casquette rouge, dort la bouche grande ouverte. A ma droite, une jeune fille que je suppose judaïque lit religieusement l’ouvrage qu’elle considère sacré. En face de moi, Courtney, une jeune métisse, gribouille sur un carnet de notes. Ses lunettes de James Dean sont bien trop larges pour son menu visage. S’il n’y avait pas eu le reste, elle m’aurait distrait tout le trajet.

« The next stop is Prince Street ». Voix féminine, enregistrée.

Jeff, qui dormait, assis à gauche de la métisse, ouvre les yeux. Bronzage intense, godillots de sécurité, bluejean couvert de plâtre… Jeff travaille à l’air libre, Jeff est un ouvrier de New-York. Il se redresse, laisse apparaître le bas de son tatouage, sur son biceps droit. Ramasse son ersatz d’oreiller, qu’il avait posé sous sa nuque, pour l’appliquer contre la barre de métal, face à lui : un rouleau de papier toilette, contre lequel il vient poser son front dégarni. A sa gauche, le grand black hallucine. Écouteurs rouges aux oreilles, chewing-gum dans la bouche, il continue quand même à balancer la tête, au rythme de sa musique.

A droite de Courtney, le jeune asiatique ne bronche pas. Droit comme un I, cheveux en brosse, lunettes carrées et col en V, il s’évertue à bien tenir son sac sur ses genoux serrés. A sa droite, debout dos à la porte, Dario fait le spectacle. Écouteurs aux creux des oreilles, T-shirt XXXL qui lui tombe sur les genoux, short noir en nylon flanqué de célèbres bandes blanches, et Nike noires qui lui grimpent sur les chevilles, Dario, 18 ans, 1m80 pour 123 kilos, dandine son gros corps avec grâce.

« This is Canal street ». La même voix féminine. Dario s’écarte, du monde descend. « Stand clear of the closing doors ». Voix masculine, animateur de colo, caricature américaine. Dario peut de nouveau danser.

A gauche du grand black, Stefanie parcoure son Sophie Kinsella. Stefanie approche de la cinquantaine, elle a les cheveux châtains ; elle leur a donné un léger reflet roux, elle les coiffe en chignon. Chignon qu’elle aime parer d’une grosse fleur rouge, un tantinet ringarde. La chaleur a gâché son fardage, mais son pourpre à lèvre est intact. A la place de l’alliance, elle porte une bague en papillon. Elle porte aussi des boucles d’oreilles à clips. Elle a verni ses ongles, d’un beige un peu crémeux, assorti à son falzar en toile. Son chemisier couleur saumon est recouvert d’une légère veste zébrée. Elle a posé sur ses genoux serrés son énorme sacoche noire. Kinsella la lasse, elle ferme son bouquin.

« City Hall ». Keiko entre dans la rame. Keiko est parée pour l’été : robe rose à fleurs bleues, chapeau blanc recouvert de mousseline, surmonté d’une improbable efflorescence argentée, elle porte des chaussures or à talons. Keiko a fait quelques emplettes ; elle est chargée comme tout. Elle dépose ses trois sacs, en sort du sopalin, dont elle recouvre un siège. Keiko s’assied enfin, en prenant bien garde à ce que son corps fatigué s’assemble avec les tissus disposés. Ces métropolitains sont tellement répugnants. Son joli collier de perles contraste avec ses pendentifs. Keiko n’a pas mis de maquillage, pas de vernis non plus. Sa peau est pâle, son teint blafard. Ses pieds paraissent très secs ; maintenant qu’elle prend ses aises, on devine ses mycoses.

La rame sort des ténèbres, pour traverser le fleuve. Au loin, j’aperçois la statue. Je la scrute, jusqu’à l’arrêt suivant. Quand je reprends le fil, Dario a disparu. Jeff aussi est parti. La rame se remplit, mon regard est obstrué par la foule… Je descends au prochain.

 

1 octobre 2010

La vallée de Valbona

écrit le 30/08/08 à Shkoder / Albanie


 

Enivré par une soif de découverte propre à celui qui s’imagine voyageur, je décidai de quitter Tirana par un beau matin du mois d’août, pour découvrir le nord albanais et les montagnes dont Ismaël Kadaré (1) m'avait déjà parlé.

Départ laborieux, aux aurores ; à vrai dire, j’étais proche de le rater, ce fameux bus qui devait me conduire à Bajram Curri. Mais la vie en a voulu autrement, et j’ai pu grimper à son bord à la dernière minute.

Peu conscient du trajet que j’étais en train de parcourir, je m’endormais pour une bonne partie du voyage. Mais arrivé à Koman, je n’avais d’autre choix que d’ouvrir grand les yeux, et descendre du véhicule. Il nous fallait désormais attendre le ferry, qui allait nous faire passer de l’autre côté de ce fameux lac artificiel. Cette traversée est splendide. L’étroite étendue d’eau s’engouffre entre deux rangées de montagnes calcaires, recouvertes d’épineux. Une heure plus tard, j’étais à Bajram Curri.

 

traversee

Encore naïf, vierge des histoires de Kanun, j’abordais sans mal les habitants du coin, pour prendre les informations dont je pensais avoir besoin. Mon but était de gagner Valbona au plus vite. Après un déjeuner avalé en vitesse, je grimpais donc dans un taxi collectif, pour affronter le chemin cabosseux qui allait m’emmener enfin dans cette vallée féerique, dont tant de gens m’avaient vanté la beauté.

Malgré les caprices de la route, malgré les soubresauts incessants de notre transporteur et malgré la beauté du décor, je réussissais encore une fois à m’assoupir. La puissance du lieu que je foulais ne m’atteignait pas encore.

En fin d’après-midi, nous arrivions aux portes de la vallée. A peine le pied posé au sol, ma perception de l’endroit changeait. J’allais bientôt être complètement livré à moi-même.

Encore enivré par cette soif de découverte propre à celui qui s’imagine voyageur, j’étais en train d’être absorbé par la puissance du lieu de que je foulais.

J’ai commencé à marcher, à peine le véhicule parti. En moins d’une heure, j’étais au pied d’un cirque montagneux bouché de toutes parts. Comme pris au piège. La menace de la tombée de la nuit commençait à se faire sentir. Le lit de la rivière asséchée, devenu un vaste pierrier inconfortable, conférait à l’endroit un caractère terriblement désolant. Mal à l’aise, je me décidais à chercher le hameau de Rrogam, pour trouver le Blédar dont on m’avait parlé. Par chance, je le trouvais assez rapidement.

Blédar

Je suis le Bessian de Blédar et Blédar est mon Gjorg. Même si les temps semblent avoir changé, et même si j’aime Blédar et que Blédar m’aime, son regard a sur moi le même effet qu’a celui de Gjorg sur la jeune épouse de Bessian.

Je plante ma tente sur le terrain de Gjorg, j’affronte tout juste le regard de ses parents, et je me couche au clair de lune. Dès demain, c’est décidé, je franchirai l’un ou l’autre de ces cols, pour rejoindre la vallée suivante.

valbone

 

 

Le cirque

 

J’ai fait le plein d’eau. Je n’ai pas grand-chose d’autre, mais au moins, je ne mourrai pas de soif. Pas aujourd’hui. Blédar m’a indiqué la marche à suivre, mais de façon très approximative. Je me lance dans le lit de la rivière.

La marche est fastidieuse. Le pierrier m’use la plante des pieds, et je mets bien une heure à dépasser les dernières maisons du hameau désolé qu’est Rrogam. J’ai compris une chose : il me faut aller jusqu’à la source de la rivière. Je suis désormais véritablement au pied de ce cirque calcaire. La chaleur est accablante et avant de gravir l’une ou l’autre de ces montagnes, il me faudra passer une vaste forêt, qui risque de me faire perdre le peu de repères que j’ai.

 

Je rêve de Gjorg. A mesure que je m’enfonce au hasard de cette dense forêt, je fantasme de plus en plus. Je voudrais sentir son esprit. Je voudrais être ce qu’il est, marcher dans ces montagnes sans savoir comment vivre la courte trêve qui m’est accordée, avant que le vengeur ne se livre à ma poursuite et poursuive le Kanun, continue l’histoire de cette vendetta qui dure depuis tant de générations. Je ne sais plus pourquoi. J’ai tué un homme, j’ai vengé mon frère, mon père ou mon grand-père, je ne sais même plus, je dois livrer le sang, de l’autre côté du cirque. Je grimpe dans cette forêt, à l’aveuglette, sans même sentir la source, juste en suivant mes pas. Je marche depuis des heures, mais je n’ai plus de notions. J’aperçois enfin les rayons du soleil.

 

Je sors enfin de cette forêt et quitte cette sombre torpeur. Je n’ai rien de Gjorg. Je ne suis qu’un touriste, chanceux car j’ai trouvé la source, alors que j’aurais du me perdre dans cette forêt sans fin. J’ai même trouvé le sentier. Il me mène jusqu’au col. Je vis cette ascension finale comme si ce n’était qu’une banale promenade ; je suis soudainement coupé de mon esprit. J’arrive au col et ne pense qu’à jouir du paysage. Je marche depuis des heures.

 

valbone2

 

Et puis je redeviens Gjorg. Un peu. Je descends de l’autre côté, dans un décor nettement plus irrigué. Je me dirige vers Teth, vers le seigneur de la région, je vais payer l’impôt du sang, puis je me claustrerai, et attendrai la fin.

 

J’arrive à Teth en fin de journée. La vallée est bien plus ouverte que la précédente. Les habitants du coin détournent sans compter l’eau du torrent, grâce à d’innombrables canaux. Le village est paisible. Il y a des ruches, et quelques champs de maïs. Lula et Nutzi, un vieux couple du coin, rencontré par hasard, me proposent leur champ pour y planter ma tente. Ils dégagent une sérénité qui me déconcerte. Ils m’offrent quelques bureks, sur le parvis de leur maison, blanchie à la chaux. L’ombre des vignes grimpantes, au-dessus de nos têtes, me rafraîchit. Le potager de Lula est luxuriant.

teth

Je vais faire un tour dans le village et je vois au loin, des bulldozers.

Ils amènent le goudron. Ils amènent l’Albanie. Ils amènent Tirana, et toute la diaspora. Je ne suis pas Gjorg, je ne suis même pas Brossian. Je ne suis qu’un touriste, heureux d’être arrivé un peu avant la route.

 

(1) Ismaël Kadaré, Avril Brisé

 

1 octobre 2010

Tourbillon carioca

écrit le 14/08/10 à Rio de Janeiro / Brésil


 

rio

Le club Luzia. Tout commence là. Lumière blanchâtre, néons pétants, grand hall de gare, bétonné. Au milieu de la salle, quatre tables carrées s’alignent comme un banquet. Des napperons rouges, quelques bières, un cendrier. Huit magiciens l’entourent ; deux guitaristes, deux cavaquinhos, et quatre percussionnistes. Ça y est, Damien se lance. Sa partenaire, une cinquantenaire, allumée, allumeuse, elle se laisse guider et s’amuse de ses pas. Les danseurs de samba l’encerclent, il rougit un brin mais s’en tire assez bien.
Rio nous entraîne dans sa danse.
Je monte dans le bus, paye mon tribut à Seu Jorge, je passe le tourniquet, et Rio défile sous mes yeux. Bordée par l’eau, la ville grimpe à fleur de montagne, mais la forêt garde ses droits. Zone sud, Gavea, Ipanema, Leblon, puis Santa Teresa, Lapa, les mondes s’imbriquent, les favelas dégoulinent jusqu’aux quartiers chics, gerbent leurs misères aux portes des grands hôtels. Je sors du bus, caméra à l’épaule, et cinq gamins hauts comme trois pommes viennent me tourner autour. Armés d’un parapluie, ils me décontenancent, me chicanent, ta caméra, ton fric, des gamins nom d’un chien, mais je dois traverser. Sont dangereux, me glisse-t-on. Danger, fais gaffe, attention, sois prudent, cache ça, pas de caméra, les règles de Rio… Je monte dans le train, je fuis l’improbable musique que la gare offre à ses passagers, la femme du président, le notre, pas le leur, invraisemblable ; le train démarre, les vendeurs défilent, journaux, ceintures, friandises, la zone nord, amas de favelas, rien que des favelas, habitations précaires, surpeuplées, occupations illicites, jusqu’à où, jusqu’à quand? Certains ont émis l’idée de mettre un mur, pour encercler tout ça, c’est à la mode et ça marche, paraît-il. La Coupe du Monde approche, et avant ça, les JO, Choque de Orden, pour nettoyer tout ça, contenir, cadenasser, cacher mais pas régler.

Fin du voyage. Rio est tellement belle, et tellement injuste. Je monte dans le car, et je la quitte, pour le Minas Gerais.

 

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1 octobre 2010

Pukayacu II

écris le 11/04/07 à Ayacucho / Pérou



exhumations


Lundi 9 avril, 10 heures du matin, rendez-vous devant la Municipalité de Huanta. Isaac et Marino sont déjà là, le second avec son fils et sa fille... Cinq autres personnes que je ne connais pas encore. Iván, mon logeur et avocat pour ADEHR, arrive quelques minutes plus tard. On attend encore Karim, avocate également... Elle n'arrive que peu avant 11 heures. Les retardataires sont tous là, nous filons au cimetière.

L'équipe d'anthropologues-légistes arrive à midi, en compagnie du représentant du Ministère public. Les exhumations vont pouvoir commencer, alors que les témoignages des familles des victimes viennent d'être recueillis par le journaliste d'une radio locale.

Aujourd'hui, nous sortons les cadavres de Dionisia Villarroel Villanueva, feu épouse de Marino Huamani, et de Esperanza Ruiz Soto... Les cercueils ont été déposés il y a bientôt 22 ans dans des niches, à la façon locale... pour ceux qui en ont les moyens.

Pukayacu II : 7 août 1985, sept personnes soupçonnées d'être de mèche avec les terroristes sont assassinées par les Forces Armées, arbitrairement, après avoir été interrogées et torturées. 29 août, les corps sont découverts dans une fosse commune, à Pukayacu. Les militaires avouent avoir tué sept personnes, d'une balle derrière la tête. L'équipe de légistes chargée des exhumations à cette époque écrit dans son rapport que les corps découverts et identifiés n'ont pas été tués par arme à feu. Un classique à cette époque...

22 années plus tard, les corps sont de nouveau examinés. Si les légistes trouvent des traces de balle sur les crânes, l'affaire pourra être réouverte et les coupables inquiétés (certains sont encore en poste). Sinon, affaire classée, on n'en parle plus.

Le premier corps est donc sorti vers 13 heures, sous les yeux de la famille. Les anthropologues l'amènent bientôt à la morgue, afin de l'analyser. Puis vient le tour du second que je vois de près, un squelette en décomposition, habillé et chaussé. Fin du premier acte.

Et premier coup de théâtre le lendemain matin : trois corps sur les sept prévus ne seront pas exhumés. Ils sont enterrés sous terre, dans la "plaine des pauvres"... Mais nous ne sommes pas sûrs de l'emplacement exact, le risque serait de se tromper de sujets... Ce qui desservirait fortement l'enquête. La famille Palomino, qui est venue pour l'occasion d'une communauté située à cinq heures de Huanta, et qui ne sait toujours pas comment elle arrivera à payer son billet de retour (15 soles chacun, 3,75 euros), a de quoi être dépitée. De mon côté, j'en profite pour recueillir leurs témoignages. D'abord de Mercedario, 40 ans, qui a perdu son père dans cette affaire. Il me raconte les dix années d'exil de toute sa communauté. Leur village a été brûlé, ils se sont cachés dans les montagnes, dans des grottes, et dans quelques villages reculés. Ce n'est qu'en 1997 qu'ils sont rentrés chez eux, pour récupérer leurs quelques parcelles. Aujourd'hui, ils produisent tout juste de quoi se nourrir, et la peur ne les a pas vraiment quittés. Ce qui me marque le plus dans son témoignage, c'est son aveu d'incompréhension totale, tant face aux fondements du conflit que face à sa soudaine fin. D'où cette peur, encore présente, du retour d'une violence qui leur échappe totalement. Puis vient le tour des dames, qui ne parlent que quechua. Un des fils est là pour traduire.

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Pendant ce temps, et jusqu'à tard dans l'après-midi, les anthropologues se chargent de déterrer les corps de Alejandro Cunto Yaranga et de Faustino Cunto Tincopa (père et fils). Eux aussi ont été enterrés sous terre, avec une petite pierre gravée comme seule sépulture. Deux des autres fils d'Alejandro sont présents, la pelle à la main. Les restes des cercueils sont atteints en fin de matinée, dans un état déplorable. Les squelettes devront du coup être dépecés, répartis dans des sachets en papier. Les analyses appronfondies commencent ce mercredi 11 avril à la morgue de Huanta mais déjà, on a pu facilement reconnaître dans les crânes les trous percés par les balles... Les exhumations partent plutôt bien.

exhum2



1 octobre 2010

Pukayaku II (2)

écris le 17/04/07 à Ayacucho / Pérou

Deuxième épisode : après quelques jours d'analyses, les corps exhumés ont été de nouveau enterrés, dans le cimetière de Huanta. Retour sur cet évènement.


 

enterrements

 

Retour à la case départ. Retour dans les niches ou retour sous terre pour les quatre corps déterrés en début de semaine dernière.

Les choses se sont déroulées dans l'ordre suivant : lundi et mardi, les corps ont été exhumés ; le reste de la semaine a été consacré à leur examen, à l'hôpital de Huanta, par l'équipe d'anthropologues-légistes (discipline qui apparemment n'existe que dans très peu de pays). De notre côté, avec Iván, nous avons démarché le Comité International de la Croix Rouge, pour qu'il offre deux cercueils aux Cunto Tincopa, qui n'avaient pas les moyens de remplacer les vieilles caisses en bois déjà bouffées par le temps.

Victór Flores nous a aidé, en payant deux boîtes... de 110 cm sur 45! Un peu glauque, le samedi matin, de voir les anthropologues recomposer les squelettes, sortis en vrac de sacs en papier, dans des cercueils beaucoup trop petits...

Cimetière vers midi... Petit discours du représentant du Ministère public, petite prière, et tous les professionnels s'en vont en nous laissant les quatre cercueils. Il ne reste plus qu'Alejandro, fils et frère de deux des victimes, ainsi que sa mère et son oncle ; Marino, mari d'une des victimes et qui a été torturé avec elle, avant d'être relaché ; la belle-mère de la dernière victime et sa nièce ; et Karim, l'avocate.

Il a donc fallu jouer aux fossoyeurs... Charger les deux premiers cercueils, d'origine, et les remettre dans leurs niches.
Charger les deux derniers et les remettre sous terre...

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Longue matinée à la suite de laquelle Alejandro nous invitera tous à déjeuner.

Longue matinée qui certes m'a permit de créer des liens particuliers avec ces familles de victimes... Mais qui je l'avoue aura aussi achevé de m'affecter, pour si ce n'était pas encore fait...

Voir ces squelettes en décomposition... Avec une dentition encore parfaite, qui me laisse penser qu'ils les ont reconnu, eux, leurs proches, morts depuis 22 ans, torturés par des militaires qui coulent aujourd'hui une retraite dorée aux frais de l'Etat... Ce fils Cunto, 16 ans seulement, mort avec son père et son oncle... En laissant une mère et quatre frères et soeurs dont deux sont morts peu après de la typhoïde... Ces témoignages que je vais encore aller devoir recueillir avec mon petit dictaphone, dès demain...

Bref, je ne veux pas faire ici du sensationnel, ni de l'émotif gratuit... Simplement, j'ai abordé ce sujet, pendant deux mois, avec une froideur dont je me demandais si elle était normale, et voilà qu'aujourd'hui je ressens enfin la douleur qui a été vécue par ces gens... Quelque part, cela me rassure.

Le résultat de ces exhumations est d'ailleurs positif : chacun des quatre crânes est très nettement percé en deux endroits par des balles. C'est ce que l'on cherchait, les militaires vont enfin pouvoir être inquiétés...


1 octobre 2010

Terr'Ativa

écrit le 13/08/10 à Rio de Janeiro, Brésil




terra1

Mardi matin, nous avions rendez-vous dans la zone sud de Rio avec Renata, la coordinatrice générale de l’association Terr’Ativa, et Vera, une de ses amies, francophone, et donc précieuse pour notre communication. L’objet de cette rencontre : faire un point sur le contexte dans lequel agit l’ONG, avant d’aller sur place.

L’association franco-brésilienne Terr’Ativa a été fondée en 1999 et œuvre actuellement dans la favela Morro do Fuba, au nord de Rio de Janeiro. Elle agit auprès des enfants et adolescents, auxquels elle propose diverses activités extra scolaires dans un but d’éducation et d’insertion sociale. En 2007, l’assassinat de ses trois membres fondateurs français par un de leurs collaborateurs – et ancien bénéficiaire de l’ONG – a gelé temporairement les activités de l’ONG. En 2008, de nouvelles équipes se sont formées, en France comme au Brésil, pour poursuivre l’action initiée par Delphine Douyère, Christian Doupes, et Jérôme Faure.

Renata fait partie de cette nouvelle génération. Elle nous explique que seul un programme sur les quatre qui existaient avant le drame a subsisté. Ironie du sort, c’est dans la favela Morro do Fuba, d’où était issu le meurtrier, que Terr’Ativa continue d’agir.

La favela Morro do Fuba se situe dans la zone nord de Rio. Pas la peine de la chercher sur une carte, vous ne la trouverez pas. Elle jouxte Cascadura. D’après les dires de nos interlocutrices, le climat social y est un peu tendu.

Les favelas cariocas ont vu émerger ces dernières années un nouveau phénomène : la création de milices, groupes armés, justiciers sans pitié, qui d’après les explications que l’on a pu recevoir se situeraient à mi chemin entre la mafia, les paramilitaires et les comités d’autodéfense.

Les milices sont composées entre autres d’anciens policiers, et se sont données comme objectif de faire régner l’ordre dans les favelas, sans hésiter à utiliser la violence. La première action a été de chasser les narco-trafiquants. « Il y a deux ou trois ans, nous raconte Renata, un groupe de 300 personnes armées a envahi la favela de Morro do Fuba ; c’étaient les miliciens qui prenaient le contrôle. Pendant trois jours, c’était la guerre dans les rues de la favela. Ils ont chassé les trafiquants. Demandez aux enfants, je peux vous assurer qu’ils se souviendront de ce jour toute leur vie ».

Les miliciens règlementent la vie de la favela. Ils observent les allées et venues de chacun, fixent les heures d’ouverture des magasins, prélèvent les « impôts »…

Dans ce contexte, hors de question pour nous d’arriver avec la caméra au point. Avant de partir au front, nous avons donc acheté un jeu de sacs poubelles, pour la dissimuler…

Trois bons quart d’heure de transport pour nous rendre à Morro de Fuba. D’abord le métro, jusqu’à Central, puis le train de banlieue… Nous finissons à pieds. La terre battue succède au goudron ; au pieds d’une colline dégarnie, commence la favela. La zone où est établie Terr’Ativa est la plus sûre et la plus « riche » du quartier.

La rue qui y mène est bordée de quelques échoppes ; nous longeons un parc pour enfants, agrémenté d’improbables manèges, semblant dater de l’avant-guerre. Un « cadeau » d’un candidat à la chambre des députés de l’Etat de Rio, et issu de la favela. La rue est étonnement vide. Comme si cela coulait de source, Renata nous donne l’explication : « récemment, un des leaders de la milice est tombé. Depuis, la rumeur d’un retour des trafiquants enfle. Aujourd’hui, il y a un risque d’invasion, alors les gens ne sortent pas de chez eux ». Rassurant.

Heureusement, le local de Terr’Ativa se trouve à quelques pas seulement. Nous y entrons, et faisons la connaissance de l’équipe.

Terr’Ativa reçoit entre 50 et 60 enfants, répartis en deux groupes, et 25 adolescents. Comme ils ne vont à l’école qu’à mi-temps, ils viennent passer le reste de la journée ici. Soit le matin, soit l’après-midi, en fonction des horaires de leurs écoles respectives.

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L’après-midi, ils arrivent aux alentours de 14 heures.

Les plus petits commencent par du soutien scolaire, avant de se laisser envouter par la lecture de Fabio, qui les fait ensuite interagir avec pédagogie sur les textes qu’il leur conte.

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Les adolescents se voient eux proposer divers ateliers axés autour des arts plastiques et de la réflexion critique. Aujourd’hui, ils s’exercent à la peinture…

A 15h30, un goûter réunit tous les enfants dans la cour de l’association.

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Les activités reprennent alors jusqu’à 17 heures, heure de la fermeture du local. Pour cette nuit, nous laisserons la caméra sur place.

Mercredi, sport au programme. Nous avons de la chance, le temps, plutôt menaçant le matin, s’est dégagé, les activités auront donc lieu dehors. La caméra traverse la rue à découvert, mais hors de question de faire le moindre plan large. Le terrain de jeu a été enfermé par la milice, dans un soucis d’ordre public.

Les activités sportives se déroulent dans une bonne ambiance ; pour notre deuxième jour, les enfants continuent de manifester une grande curiosité à notre égard, et redoublent d’effort pour communiquer avec nous. La gymnastique cède la place au football, d’abord les exercices, et puis le match libre, un contre tous chez les plus jeunes.

Deux ou trois gamins m’en mettent plein la vue, ils ont un don certain, jeu de corps, conduite de balle et technique ahurissants pour leur gabarit et leur âge…

17 heures, le jeu s’arrête, les enfants partent. Nous restons encore une demie-heure avec la chaleureuse équipe d’éducateurs, qui trinque à l’anniversaire de Renata. Puis nous regagnons le centre, caméra sous le bras… Chapeau à Terr’Ativa, dont l’action nécessite un sacré engagement.

1 octobre 2010

Lar Sem Fronteiras

Reportage sur l'association Lar Sem Fronteiras, qui agit dans la périphérie de Recife, au Brésil, auprès de très jeunes enfants issus de milieux défavorisés.



 

1 octobre 2010

Charles, préparateur de coqs champions

Reportage autour d'une tradition ancestrale en Martinique : le combat de coqs.



 

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